mardi 1 octobre 2013

J'ai lu

Publié en 2012
Croyez-moi si vous voulez, mais je travaille sur ce texte depuis au moins un an. J'essayais de clarifier mes idées sur le sujet -- en fait, je cherchais des réponses. Je me suis finalement rendue compte que je n'en ai pas. En tant que lectrice, professeur et critique, j'ai plutôt des questions par rapport à la publication en Haiti. Et c'est peut-être tant mieux. J'aurais ainsi moins d'occasions de me tromper et la discussion sera plus riche dans les commentaires. 

J'ai d'abord pensé à écrire sur les modes de publication et de circulation de textes ici parce que cela m'arrive parfois de recevoir des livres publiés par de nouveaux auteurs -- le plus souvent jeunes -- même si beaucoup n'apprécient pas le terme. Je dois avouer que souvent je ne sais pas comment réagir face à ces livres. Il y a bien sur de la gratitude. J'apprécie le fait qu'on ait pensé à me faire un cadeau, parce que personne ne me doit des livres. Je suis aussi sensible au fait qu'on respecte mon opinion en tant que lectrice et critique. Mais je ressens aussi un certain gêne par rapport à ces livres donnés, justement parce qu'en tant que critique et quelqu'un qui côtoie les écrivains au quotidien, je sais ce que cela représente de produire un livre. Le travail exigé, les émotions suscitées. Et j'ai peur de ne pas être séduite par le texte, car il n'est quand même pas poli de dire à quelqu'un qu'on n'a pas aimé le cadeau offert. Il n'est surtout jamais aisé de dire à un écrivain qu'on n'a pas aimé son livre. C'est pour cette raison que je suis beaucoup plus à l'aise à recevoir et à lire des manuscrits. Quand on commente un manuscrit, l'auteur a la possibilité d'en tenir compte dans ses éventuelles modifications. 

Les livres que je reçois sont le plus souvent publiés à compte d'auteur et le plus souvent par des personnes au tout début de la vingtaine. Pourquoi ces précisions? Parce que souvent en lisant les textes reçus, je m'interroge sur cette hâte de publier. Je me pose la question non pas parce que ces livres sont mauvais -- le plus souvent ils ne le sont pas du tout. Par contre, ils me donnent souvent l'impression d’être inachevés. Je pense aux potentialités non-réalisées en les lisant. Il y a parfois des problèmes de cohérence narrative, des erreurs grammaticales, des problèmes d'impression ou de présentation qui me font penser que l'auteur et son livre auraient été mieux servi par un peu plus de temps, de travail de correction et une structure éditoriale sérieuse. (Je dois signaler que ce ne sont pas des problèmes spécifiques à Haiti, mais c'est de la littérature haïtienne qu'il est question sur ce site.)

Je reconnais cependant qu'il existe en Haiti une grande tradition de publication à compte d'auteur. Sans laquelle nous n'aurions pas des textes aussi beaux et variés que  Ecrit sur du ruban rose ou Saison des hommes ou encore Rapjazz. Mais la dégradation du système éducatif haïtien aidant, peu sont les écrivains aujourd'hui qui ne bénéficieraient pas d'une relecture professionnelle. 

Je m'interroge aussi sur cette hâte de publier. Est-ce le temps qui presse? A-t-on peur de n'avoir plus le temps de se consacrer à l'écriture plus tard? Est-ce une façon de s'imposer à la société? De se faire une renommé le plus tôt que possible? Je ne comprends pas cette pulsion d'arracher les pages de l'imprimante pour les apporter tout de suite à la librairie. J'aurais tendance à suivre de préférence le conseil donné par Zadie Smith: laisser son texte mijoter dans un tiroir aussi longtemps que possible avant de le publier. Mais puisque j'avais bien dit que j'avais des questions et non pas de réponses: Comment réconcilier l'idée de retarder la publication avec le parcours des auteurs comme Justin Lhérisson ou Jacques Roumain qui sont morts assez jeunes? On peut s'estimer chanceux qu'ils n'aient pas trop attendu avant de publier leurs écrits!  

Je pense que pour certains cette passion pour l'écriture, cet engouement pour la chose littéraire pourraient trouver une plus juste expression dans les ateliers d'écriture ou les clubs de lecture. Des espaces où l'auteur pourrait recevoir des réactions, des commentaires constructifs sur ce qu'il produit. D'ailleurs, l'ENARTS pourrait peut-être offrir une formation en écriture comme une filière parmi les autres. Pourquoi pas des ateliers d'écriture formels débouchant non seulement sur un diplôme, mais sur un projet d'écriture fini? 

Deuxième numéro de cette revue
Il faut aussi encourager la publication dans les revues littéraires et je suis heureuse de constater un renouveau en ce sens ces derniers temps avec l'apparition de Demanbre, IntranQu'îllités, Legs et Littérature... Autant de possibilités de publication sans la pression d'avoir à terminer tout un livre. 

On pourrait peut-être me reprocher d’être trop prudente par rapport à la publication. C'est qu'en tant que professeur et critique littéraire, je suis extrêmement consciente du fait que les écrits demeurent. Un livre publié aujourd'hui sera probablement -- on le souhaite! -- toujours disponible dans une cinquantaine ou une centaine d'années, même s'il ne s'agit que d'une poignée d'exemplaires. L'auteur est-il prêt à jouer sa réputation -- actuelle et future -- sur ce livre publié avec tant d'empressement? Le premier livre n'est pas forcément le dernier. On n'est obligé de tout y mettre. Mais il se peut aussi que la vraie question soit celle de la réception. Le lectorat est-il en mesure de faire le tri parmi tous les livres publiés?

La publication à compte d'auteur, surtout au début d'une carrière littéraire comporte des avantages et des désavantages. L'écrivain doit faire preuve d'arrogance pour s'imposer, mais aussi d'humilité face aux critiques.  

A Néhémy, Qualito, Shéba, Stanley, Yvenante... tous ceux et celles qui ont eu l'amabilité de me donner des livres... j'ai lu. 


NM