Le mois de septembre est terminé, mais je voudrais
quand-même marquer la rentrée scolaire ici aux Etats-Unis...alors,
permettez-moi de partager quelques points de réflexion sur le premier roman
sur mon syllabus—Rosalie l’infâme de Evelyne Trouillot. Publié en 2003 ce roman
se situe à Saint Domingue au 18e siècle. Plus spécifiquement, c'est l'année
1750--la période de l'esclavage. Enseigner ce roman
m'a donné l'occasion de réfléchir en profondeur sur les représentations de
l'esclavage dans le contexte haïtien et comment enseigner l'esclavage dans un
cours de littérature et culture francophone aux Etats-Unis.
Evelyne Trouillot
fait un travail méticuleux pour rendre la vie quotidienne de l’esclave. Son objectif de montrer l’horreur de
l’esclavage ainsi que l’humanité des esclaves individus se réalise avec des
personnages pleins de leurs propres pensées et passions. A mon avis la postface présente un des
éléments les plus intéressants du roman. Trouillot y explique qu’elle « ne voulait pas écrire un
roman historique », mais malgré ceci Rosalie
l’infâme peut être considéré comme un roman historique ainsi que ce que les
Américains nomment un « neo-slave narrative ». Dans son étude Sites of Slavery: Citizenship
and Racial Democracy in the Post-Civil Rights Imagination (2012) Salamishah
Tillet explique que le neo-slave narrative est un genre avec lequel les
écrivains et artistes noir-américains essayent de négocier leur identité et
citoyenneté américaine au 20e et 21e siècles. Devant cet état de choses, comment
pourrait-on expliquer l’utilisation du « neo-slave narrative » dans
le contexte haïtien, autrement dit, que veut dire la représentation de
l’esclavage dans le contexte haïtien ? Comment est-ce que l'histoire de l'esclavage figure dans notre
imaginaire contemporain? En utilisant le
sujet du marronnage, Trouillot explore un aspect de cette histoire. D'une certaine manière le "nèg
mawon" est synonyme de notre
compréhension de l'esclavage parce que celui-ci représente la résistance et la
liberté préfigurant la Révolution. Mais
Trouillot présente une autre vision qui féminise le personnage célèbre. Ainsi elle
nous offre une histoire à la fois familière et complètement ré-imaginée.
J'enseigne Rosalie dans le contexte d'un
cours de littérature des femmes francophones, mais j’imagine un jour peut-être je
pourrai créer un cours sur l’esclavage pour aller plus loin dans l’exploration
du sujet. Comment enseigner l’esclavage
spécifiquement dans le contexte haïtien ?
Comment éviter la tentation de rester seulement dans la gloire de la Révolution
haïtienne sans vraiment rentrer dans les détails horribles de cette institution
tellement déshumanisante ?
Pour moi, en tant que prof de français aux Etats-Unis, enseigner l'esclavage aux étudiants qui ne sont pas familiers avec cette histoire particulière (dans le contexte haïtien et français) a posé un défi supplémentaire. Beaucoup d’étudiants américains ont lu Beloved de Toni Morrison et plusieurs étudiants français sont familiers avec Ourika de Mme Duras, mais pour ce qui concerne l’esclavage en Haïti et le rôle de la France dans la traite en général, il ont très peu de connaissance. J'ai ajouté des lectures supplémentaires de The French Atlantic Triangle : Literature and Culture of the Slave Trade (2008) écrit par Christopher Miller et The Libertine Colony écrit par Doris Garraway. De même, le dernier livre de Laurent Dubois Haïti: The Aftershocks of History aborde la période avant la Révolution haïtienne. Ces livres m’ont aidé à contextualiser l’aspect historique. Pour la prochaine fois je compte ajouter un film qui pourrait aider les étudiants à visualiser l’époque aussi. Mes étudiants étaient profondément touchés par le style de l’écriture, ils ont apprécié la beauté, l’émotion et la passion du roman. En bref, ce roman leur a enseigné l'histoire de l'esclavage d'une manière plus intime. Ce succès est à cause de l’écriture de Trouillot et son but de rendre à la fois un roman historique et un texte qui humanise l’expérience quotidienne des esclaves.
Et vous? Comment
est-ce que vous pensez que l'esclavage est présent ou absent dans notre
imaginaire haïtien? Comment pourrait-on enseigner cette période avec plus de fidélité et complexité?
RMJC
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